«Adoptions forcées»: le besoin d’un soutien réel »

 

Photo de Louise Bienvenue Louise Bienvenue

Professeure d’histoire à l’Université de Sherbrooke

31 juillet 2018

C’est à double titre que je m’intéresse à la récente demande du Sénat canadien pour des excuses officielles du gouvernement fédéral aux mères et aux enfants « victimes des pratiques en matière d’adoption forcée pendant les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ». En tant qu’historienne, mais aussi en tant qu’enfant adoptée en 1969, je suis évidemment sensible à la réalité des mères célibataires de l’époque et à celle des enfants adoptés, souvent privés de la connaissance de leurs origines.

C’est donc avec intérêt que j’ai lu le rapport «Honte à nous», récemment mis en ligne par le Sénat, ainsi que les mémoires déposés devant le comité chargé d’étudier ce dossier. Si je me réjouis d’un débat public sur la question, j’ai été déçue du peu de profondeur historique de l’argumentaire déployé dans ce rapport sénatorial. À part une courte citation de l’historienne Veronica Strong-Boag, le document ne convoque aucune étude produite par un ou une spécialiste de l’adoption (historien ou historienne, anthropologue ou sociologue) dans cette prise de position qui fait pourtant le procès de notre passé commun. La base empirique sur laquelle semble s’appuyer le comité se résume à une poignée de témoignages — certes importants et touchants — ainsi qu’à cinq courts mémoires. Il existe pourtant de solides travaux sur cette question.

Dans ce rapport, le rôle du gouvernement fédéral est montré du doigt. Or, son implication en matière d’adoption est tardive et indirecte, par un Régime d’assistance publique mis en place dans la seconde moitié des années 1960. C’est au niveau provincial qu’étaient mises en place les politiques d’adoption et, de manière générale, les politiques sociales touchant les populations fragilisées.

Au Québec, par exemple, on pourrait blâmer beaucoup plus pertinemment le caractère discriminant de la Loi d’assistance aux mères nécessiteuses, adoptée en 1937 par le gouvernement Duplessis, qui refusait pour des raisons morales de secourir les mères célibataires. Le statut même d’enfant illégitime, figurant dans le Code civil jusqu’en 1980, qui était accordé à ceux et celles qui naissaient hors mariage, serait aussi à rappeler à notre mémoire. Mais, pour autant, dans cette affaire, il semble court et commode de pointer l’État, voire les Églises, pour la gestion d’un « problème » qui engageait, largement, la morale et les mœurs d’une société tout entière.

Qu’en est-il, en effet, de la responsabilité des parents répudiant leur fille enceinte, des garçons prenant le large et n’assumant pas leur paternité, des employeurs refusant d’embaucher une mère célibataire ? Un débat historique et social soutenu devrait aussi soulever des enjeux comme l’absence d’éducation sexuelle et la criminalisation de la contraception jusqu’en 1969.

L’appellation « d’adoptions forcées » retenue par le Sénat demande aussi, selon moi, une discussion. Si le régime de vie des maternités fut assurément sévère, si les pressions sociales furent lourdes sur les épaules des « filles-mères », des règles officielles pour formuler un consentement éclairé existaient au Canada, comme le rappelle le mémoire de l’Armée du Salut présenté au Sénat.

La question du choix

On sait que des mères célibataires refusaient de signer pour l’adoption de leur enfant, espérant le reprendre un jour lorsque leur situation financière se serait améliorée. Si plusieurs femmes, on s’en doute, n’eurent pas l’impression d’un véritable choix, d’autres, en fonction des possibles de l’époque, ont misé délibérément sur l’adoption comme l’option la moins dommageable pour leur enfant et elles-mêmes.

Puisque cette réalité des séparations mère-enfant est le fruit de normes portées, naguère encore, par toute notre société, soulagera-t-on vraiment la douleur des mères biologiques et de leurs enfants par des excuses fédérales ? Métaboliser son passé est-il si simple ? Ces adoptions étaient conformes non seulement aux mœurs en vigueur, mais aussi à la lettre de la loi.

Des actions commémoratives auront peut-être quelque efficacité symbolique, mais je plaide bien davantage pour la mise en place de programmes de soutien dignes de ce nom reconnaissant, plus que la récente loi 113 le fait au Québec, l’importance d’un véritable accès aux dossiers.

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