Enfants atikamekw hospitalisés… puis portés disparus

 

Pierre-Luc, Maggie, Lauréanna, Diane, Marcel sont des enfants fantômes. Des enfants atikamekw qui ont disparu alors qu’ils recevaient des soins à l’hôpital. Des enfants jamais oubliés, mais pleurés en silence.

Un texte d’Anne Panasuk d’Enquête

À la fin des années 60 et durant la décennie 70, les enfants atikamekw qui avaient besoin de soins médicaux étaient envoyés à l’hôpital par hydravion, sans leurs parents. Mais après leur hospitalisation, certains ont disparu, placés dans des familles blanches sans le consentement de leurs parents. L’un d’entre eux a même été déclaré mort alors qu’il était toujours vivant.

En Haute-Mauricie, il n’y a pas une communauté, pas une famille atikamekw qui ne soit touchée par le drame de perdre la trace d’un enfant. Voici trois histoires que l’on nous a racontées.

LA FAMILLE PETIQUAY

La famille Petiquay dans son campementAgrandir l’image(Nouvelle fenêtre)

La famille Petiquay

PHOTO : RADIO-CANADA / ALPHONSE MONDELLO

 

À la fin des années 60, Diane Petiquay a été hospitalisée à l’hôpital de La Tuque à l’âge de six mois pour une pneumonie. Mais au lieu de revenir à ses parents et dans sa communauté, elle a été placée dans une famille d’accueil blanche, sans le consentement de ses parents.

« On a trouvé un document aux services sociaux. Les raisons qu’ils avaient marquées étaient : “abandon des parents” », raconte Jacinthe, la soeur de Diane.

Sa mère, qui parle seulement atikamekw, a bien signé ce document… qui était écrit en français. « Le curé lui disait que c’était pour qu’elle puisse être soignée, explique Jacinthe, outrée. Mais c’est pas du tout pareil, c’est pas la même chose. »

De passage à l’hôpital, la mère se serait fait dire que sa fille ne voulait plus la voir.

Diane, que l’on voit sur la photo en bas à droite, a retrouvé sa famille atikamekw à l’adolescence. Si elle a découvert une fratrie, elle ne peut pas communiquer avec elle en atikamekw. « Il y a un manque quelque part. Il y a un manque qu’on ne pourra jamais récupérer », explique-t-elle.


LA FAMILLE AWASHISH

Suzanne Awashish pose avec sa fille

Suzanne Awashish, soeur de Marcel, et sa fille

PHOTO : RADIO-CANADA / ALPHONSE MONDELLO

 

Dans la communauté d’Opitciwan, le jeune Marcel Awashish s’est cassé le bras en jouant au pied d’un lit métallique. Il a été envoyé à l’hôpital d’Amos, puis a disparu durant des années.

« Comment ça se fait qu’il s’est retrouvé à Montréal avec juste un bras cassé? s’interroge encore aujourd’hui sa soeur Suzanne. Ça a l’air qu’il était déjà sur la liste en adoption. Une chance que l’on a réussi à le retrouver à temps, sinon on l’aurait perdu. On l’aurait jamais revu. »

Mais lorsque Marcel a été retrouvé, il ne parlait qu’anglais.

Quand je l’ai revu, il avait grandi, puis il parlait l’anglais. Je ne pouvais pas lui parler. On ne comprenait pas ce qu’il nous disait.

 Suzanne Awashish

Il avait perdu sa langue maternelle et le français, langue seconde des Atikamekw.


LA FAMILLE ECHAQUAN

La famille Echaquan

Les parents de Lauréanna (à gauche)

PHOTO : FAMILLE ECHAQUAN (COURTOISIE)

 

Lauréanna a été envoyée à l’hôpital de Joliette en 1973, alors qu’elle n’était qu’un nourrisson.

Après avoir pris du mieux et avoir été placée dans un foyer d’accueil, le temps que les parents puissent venir la chercher, l’enfant est morte soudainement. Les parents ont fait 200 km en hydravion dans l’espoir de la ramener pour l’enterrer dans la communauté.

Ils soutiennent qu’on leur a montré un enfant qui n’était pas le leur et qu’on a procédé à l’inhumation très rapidement sur place.

La famille est méfiante. Malgré l’avis de décès, elle est encore sur la liste des Indiens inscrits, comme si elle était vivante. Lauréanna est-elle vraiment morte?

Plus de 40 ans plus tard, nous avons cherché le lieu de l’enterrement au cimetière de Joliette, présumant que leur fille avait été enterrée dans la fosse commune pour les « corps non réclamés ». Mais les parents ont toujours soutenu que ce n’était pas là.

Nous avons finalement découvert un témoin de l’enterrement, une ex-travailleuse sociale qui était sur les lieux, impuissante, qui confirme les dires des parents. Lauréanna a été enterrée à côté du cimetière, dans un champ, comme un chien.

Trois communautés isolées

Consulter sous forme de texte

 

Opitciwan, Wemotaci, Manawan. Il est difficile d’imaginer l’isolement de ces communautés dans les années 70. Les Atikamekw étaient alors encore semi-nomades, vivant sur leurs territoires de chasse. Ils vivaient une partie de l’année sous les tentes, l’autre dans des cabanes sans électricité, sans téléphone.

Pour se rendre en ville, les Atikamekw de Wemotaci ou d’Opitciwan devaient canoter et portager des jours jusqu’au chemin de fer qui les amenait soit à La Tuque, soit à Amos.

Difficile dans ces conditions d’aller visiter un enfant malade à l’hôpital, surtout lorsqu’il y a en cinq ou six autres à traîner ou à faire garder.

Des maisons colorées de la communauté d'Opitciwan, en Haute-Mauricie

La communauté atikamekw d’Opitciwan en Haute-Mauricie (entre 1977 et 1982)

PHOTO : FONDS SERGE JAUVIN DES ARCHIVES DU CONSEIL DE LA NATION ATIKAMEKW

 

À cette époque, il n’y avait pas de Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et de services sociaux tels qu’on les connaît aujourd’hui. Alors qui décidait du placement des enfants autochtones hospitalisés? Y avait-il une directive gouvernementale, comme dans le cas des pensionnats?

« Je n’ai jamais trouvé de directives particulières […] Mais ce genre de cas est assez commun dans les communautés, dans probablement une bonne majorité de communautés autochtones au Québec », explique Marie-Pierre Bousquet, directrice du programme d’études autochtones à l’Université de Montréal.

D’après elle, c’est la mentalité générale de la population qui est responsable. « C’est la façon dont sont regardés les parents autochtones depuis longtemps. Les parents sont [vus comme] primitifs, ils ne savent pas s’occuper de leurs enfants. Ils sont faibles. Ils sont pas des bons éducateurs », dénonce-t-elle.

Les médecins et les curés avaient beaucoup de pouvoir sur le sort de ces enfants et ne comprenaient pas leur réalité, estime pour sa part Anne-Diane Béliveau, une travailleuse sociale qui a été engagée en 1973 pour mettre sur pied des services sociaux à Manawan.

« Tu ne fais pas un signalement parce que l’enfant arrive sale, tu ne fais pas un signalement parce que l’enfant fait de l’impétigo […] Si vous viviez là, avec les mouches noires, laissez-moi vous dire que n’importe quel enfant, blanc ou carreauté, il en aurait, parce que les enfants jouent dans le sable, puis ils se grattent », explique-t-elle.

Des enfants atikamekw

Enfants atikamekw

PHOTO : MINISTÈRE DU CONSEIL EXÉCUTIF DU QUÉBEC

 

Le ministère des Affaires autochtones nous a répondu qu’il n’avait trouvé aucun renseignement sur le placement d’enfants atikamekw à cette époque.

La question de l’aide à l’enfance à cette époque est complexe, puisque plusieurs entités étaient concernées : le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les organisations religieuses et les organismes privés.

Obstacles administratifs

Certains hôpitaux émettent des règlements qui empêchent les familles de retracer les enfants disparus. Ainsi, des hôpitaux déclarent que seul l’usager peut demander son dossier médical.

Si celui-ci est décédé, ou disparu, les parents ou les enfants ont le droit de recevoir les renseignements médicaux uniquement si cette information est nécessaire pour vérifier l’existence d’une maladie génétique. À l’exception de cette raison, la famille doit obtenir un ordre du tribunal.

 

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