Article réalisé le 10-07-2013 Instinct maternel.over blog.com
Françoise Moggio exerce en cabinet et au centre Alfred Binet, centre de soins psychiques et psychanalytiques pour l’enfant, dans le 13ème à Paris. Ses champs de recherche principaux: les bébés et leurs parents, les difficultés psychiques d’une naissance et d’un jeune enfant.
L’instinct maternel
C’est un terme que je n’utilise pas. C’est un concept éthologique, on parle d’instinct pour les animaux. Entre la mère et l’enfant se noue un lien fait de réciprocité: la mère s’attache à l’enfant et l’enfant s’attache à la mère. L’attachement concerne tout individu. Une femme qui a des troubles de l’attachement va le retransmettre à son bébé. Nous sommes génétiquement programmés à entrer en relation avec un bébé et à s’adapter à lui pendant la grossesse et les premières semaines de sa vie. La mère doit effectuer un travail psychologique pour que l’enfant qu’elle a dans ses bras soit celui qu’elle imaginait. Quand il n’y a pas de drame et que la maman va bien, elle doit tomber amoureuse de son bébé. L’état amoureux est un état qui se construit. Une mère qui va bien, va normalement investir son enfant, l’aimer, le choyer, le soigner…
Aucun trouble de l’attachement particulier, pas de drame non plus: j’ai toujours eu l’impression d’aller bien. Et pourtant, s’il y a une chose qui ne s’est jamais passée, c’est bien de «tomber amoureuse de mon enfant»… Ça se soigne docteur?
L’abandon
La notion d’abandon est lié à notre culture judéo-chrétienne. Dans certains pays, donner son enfant fait partie de la culture. L’abandon s’inscrit contre notre morale ordinaire. Nous avons tous été le bébé d’une maman et l’idée qu’elle puisse nous avoir abandonné est intolérable. Ce n’est pas un choix, où la volonté consciente serait la seule en cause.
Les femmes qui abandonnent leur enfant agissent sous la contrainte. Les contraintes peuvent être internes (une femme qui ne peut pas s’imaginer mère) ou externes (famille, environnement social…). Le plus souvent, il s’agit d’une combinaison des deux. Toutes les femmes qui abandonnent leur enfant vivent un conflit interne. Une femme n’accouche pas impunément sous X, ce sont toujours des situations douloureuses. Les femmes se sentent coupables, elles peuvent exprimer leur culpabilité mais aussi refuser de la reconnaître. Une femme peut haïr son enfant, consciemment ou inconsciemment. Ce sentiment est lié aux conditions de la naissance de l’enfant… Lors d’un abandon, la mère abandonne son enfant physiquement mais jamais psychiquement.
Une femme qui a abandonné un enfant et qui a d’autres enfants par la suite, aura le sentiment d’être mauvaise, d’avoir fait quelque chose de mal, de ne pas être une mère suffisamment bonne pour ses autres enfants. La naissance d’un nouvel enfant va révéler la souffrance de l’abandon du premier enfant.
On peut imaginer qu’un enfant abandonné aura des difficultés à construire une famille mais cela dépend de la façon dont il s’organise avec son histoire. Il peut avoir une crainte de répéter leur histoire ou de ne pas être capable de fonder une famille.
Bon diagnostic docteur. Votre analyse me paraît plus que satisfaisante. Il est évident qu’aucune femme n’abandonne un enfant par plaisir. Toutefois, ma question est: oui, mais 5, 10 ou 30 ans après l’abandon, y pense-t-on encore? En souffre-t-on encore? Comment se fait-il que les 2 plus belles années de ma vie soient celles qui ont suivi mes deux abandons? Dois-je culpabiliser toute ma vie docteur?
Les liens du sang
Ils sont sans grande importance. Ce sont les liens d’attachement, subjectifs et psychiques qui sont les plus importants. Les enfants adoptés entretiennent souvent des liens puissants avec les gens qui s’occupent d’eux. Le travail consiste à ne pas rompre les liens avec les parents d’origine et à s’attacher à d’autres personnes que ses parents biologiques.
Il est toujours conseillé aux parents adoptifs de dire la vérité à leurs enfants. C’est toujours un moment difficile mais les secrets de famille sont toujours des secrets de polichinelle. Les secrets de famille peuvent être très pathogènes. On cache toujours ce qui fait honte (suicide, maladie mentale, faillite, adultère…). Les gens ont généralement peur que la révélation du secret fasse éclater la famille en morceaux.
Les enfants abandonnés peuvent s’attacher à d’autres personnes que la mère biologique, à un substitut maternel de qualité. L’accouchement anonyme est davantage le problème de la mère que du bébé. Les américains évoquent la notion de donneur de soins et non pas de mère. C’est mieux d’avoir sa mère mais on peut avoir un substitut susceptible de donner de l’amour et du soin.
La notion de lien du sang sous-entend qu’il y a quelque chose de magique. Mais un enfant abandonné qui croise sa mère dans la rue ne va pas la reconnaître.
Lorsqu’un enfant fait la démarche de retrouver ses parents, quelque chose de puissant se passe, c’est gratifiant pour les parents. La mère se dit que l’enfant qu’elle a abandonné l’a retrouvée et qu’elle comptait pour lui. Le conseil que l’on pourrait donner aux parents et aux enfants qui se retrouvent après des années de séparation est de se parler, de se raconter, de réapprendre à se connaître, de dialoguer au maximum.
Nous sommes toujours bien sur la même longueur d’ondes docteur. Je vous expliquerai plus tard pourquoi je ne crois pas aux liens du sang…
Au fait, certaines mères bio ont-elles parfois la mémoire courte?
Je vous livre ce petit témoignage; un parmi tant d’autres du genre…
Bonjour à tous,
Je me suis inscrite parce que je recherchais un frère qui devait s’appeler D., mais depuis lors, j’ai découvert et trouvé des choses très différentes de ce à quoi je m’attendais.
Tout d’abord, j’ai retrouvé et connu ma maman naturelle. Par elle j’ai su finalement le vrai nom du frère que je croyais s’appeler D. et qui en réalité s’appelle A.
Ensuite ma mère m’a confessé que j’ai aussi une sœur, abandonnée elle aussi à l’orphelinat de C., mais dont elle n’a rien pu se rappeler sinon le prénom, C., qu’elle était «peut-être» née à C. «ou en province…», et «plus ou moins» entre 1955 et 1957…
En fait, cette femme, en 6-7 ans environ, a abandonné 3 enfants, moi comprise, tous les trois d’un même père qui, semblerait-il la faisait chanter…
Quand on prend ce genre de décision, on sait parfaitement que c’est définitif, qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, que rester à pleurer sur son passé ne sert à rien sinon à se faire du mal. L’oubli est la seule option possible.
Je pense pour autant (et je me suis battu pour cela), que les enfants doivent se faire une idée seuls. Je me refuse à leur interdire d’écrire (téléphoner est plus difficile vers Tahiti, en raison du coût). Ils verront plus tard quelle suite donner à l’attitude de leur mère.
Merci d’avance si cette question peut être posée, cet ou ces avis sont importants pour m’aider à comprendre un peu et expliquer ensuite un peu mieux à mes enfants. »
Je terminerai cet article avec ce très beau paragraphe, écrit par un journaliste italien dans un article intitulé «Elle avait abandonné son nouveau-né»:
«Les histoires des enfants abandonnés n’ont pas toujours le même déroulement heureux (la maman qui revient, comme dans les fables), parce que, souvent, les mères s’en restent au loin et ne reviennent jamais plus en arrière.
Soit elles souffrent comme des bêtes et se traînent alors dans une vie de remords. Ou bien elles effacent cette douleur, elles la rayent de leur vie et en recommencent une nouvelle, là où il ne s’est rien passé, là où cette histoire n’a jamais eu lieu».