Homoparentalité: des enfants aux origines éclipsées
BAPTISTE RICARD-CHÂTELAIN
Le Soleil 15 juin 2013
En acceptant que deux mères puissent être inscrites sur l’acte de naissance d’un bébé, le législateur québécois prive ce petit de son droit de connaître ses origines, regrette un spécialiste du droit de la famille.
«Je n’ai pas de problème qu’un enfant puisse avoir deux pères ou deux mères dans la mesure où son origine n’est pas gommée», expose Alain Roy, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. «Il ne faut pas que ça se fasse au mépris du droit de l’enfant.»
Nombre de jeunes issus de l’adoption et de la procréation assistée souffrent de feuilleter des pages blanches dans le premier chapitre de leur vie, dit-il. En inscrivant les noms de conjoints de même sexe auprès du Directeur de l’état civil, l’identité d’au moins un «parent biologique» sera nécessairement occultée.
Développement de l’enfant
La réflexion du professeur sur le lien devant unir un couple de même sexe et un enfant n’est pas nouvelle. Me Roy est agacé par la réforme depuis son instauration en 2002, alors que les élus ont consacré à l’unanimité le droit à la filiation entre un enfant et un couple gai ou lesbien. Depuis, deux pères ou deux mères peuvent adopter conjointement un jeune. Les couples lesbiens peuvent aller plus loin en signant conjointement la déclaration de naissance du poupon mis au monde par une des deux mères; officiellement, l’enfant est donc le fruit de leur union.
En 2004 et en 2005, Alain Roy s’était épanché dans des textes publiés par l’Institut national de recherche scientifique et l’Université de Montréal. Déjà à l’époque, il reconnaissait que «plusieurs études empiriques démontrent qu’un enfant évoluant auprès de figures parentales homosexuelles aimantes se développe adéquatement. […] En sanctionnant l’homoparentalité, on en légitime l’existence et, incidemment, on contribue à en accélérer l’acceptation sociale, au bénéfice des enfants concernés.»
Mais la rupture avec la réalité biologique de la conception consacrée par l’acte de naissance signé par des parents de même sexe le titille, écrivait-il. L’acte de naissance est le fondement de l’identité individuelle qui devrait révéler ses origines à l’enfant, selon lui. «Y inscrire le nom de deux hommes comme pères ou de deux femmes comme mères, c’est créer une petite révolution dans la généalogie…»
Le désir d’enfant des couples gais et lesbiens est légitime, résume-t-il, mais ce rêve ne doit pas supplanter les droits des enfants. Une nouvelle forme de «parentalité psychologique» aurait été mieux adaptée à cette réalité grandissante.
Quête des origines
Il ne faut pas limiter la quête des origines aux enfants de couples homoparentaux, avertit la professeure de sexologie Line Chamberland, titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’Université du Québec à Montréal. Le débat n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle des parents : les garçons et les filles adoptés, issus de la fécondation in vitro, de l’insémination ou réchappés par des familles d’accueil, cherchent aussi à écrire les premières pages de leur histoire.
Isabel Côté, professeure en travail social à l’Université du Québec en Outaouais, ajoute, en outre, que la reconnaissance légale du lien de filiation avec deux parents de même sexe «est vraiment une plus-value» pour les enfants. Les deux adultes sont alors responsables d’assurer sa protection, son bien-être. Et le jeune a droit à une série de prestations sociales en cas de décès, de maladie.
Mme Côté perçoit plutôt une saine évolution dans la malléabilité du concept de famille. Le modèle basé «sur l’engendrement» n’aurait plus sa raison d’être. «La famille change, il faut que le droit s’adapte pour mettre tous les enfants sur le même pied d’égalité, peu importe les circonstances de leur naissance.»
Les familles homoparentales vivent les mêmes joies et butent sur les mêmes écueils que les ménages hétérosexuels, avance Isabel Côté, professeure en travail social à l’Université du Québec en Outaouais. «Ce n’est pas le sexe des parents qui fait une différence, c’est le climat dans lequel les enfants grandissent.»
Quelques disparités peu significatives
Selon la littérature scientifique, il n’y aurait pas de disparités entre les enfants élevés dans une famille hétérosexuelle ou dans la voisine homosexuelle. Vraiment pas de disparités? Les plus récentes analyses laissent entrevoir quelques contrastes…
«Il n’y a pas de différences significatives.» Les familles homoparentales vivent les mêmes joies et butent sur les mêmes écueils que les ménages hétérosexuels, avance Isabel Côté, professeure en travail social à l’Université du Québec en Outaouais. «Ce n’est pas le sexe des parents qui fait une différence, c’est le climat dans lequel les enfants grandissent.»
Même constat du côté de la titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la sexologue Line Chamberland. Malgré les difficultés spécifiques éprouvées par les familles homoparentales, leurs enfants ne s’en sortent pas mieux ou moins bien que les enfants des autres maisonnées.
Mais, quelques études récentes révèlent une certaine dissemblance, fait remarquer Danielle Julien, professeure et chercheuse au Département de psychologie de l’UQAM. «Les différences qu’on trouve, c’est au niveau du développement du genre chez les enfants. Les filles de mères lesbiennes, par exemple, si on les compare aux filles de mères hétérosexuelles, ne seront pas moins féminines, mais elles vont être plus masculines.» Ainsi, elles pourraient se diriger plus facilement vers des professions réputées majoritairement occupées par des hommes.
Et les garçons?
Et les garçons de couples homosexuels? On observerait également qu’ils sont moins cantonnés. Ils ne sont pas moins masculins, mais ils sont plus féminins, avance la spécialiste de la psychologie du développement. Concrètement, ça veut dire quoi? Ils apprécient autant leur camion que les autres garçons, mais ils repoussent moins la poupée.
D’autres distinctions apparaissent au secondaire, poursuit Danielle Julien. Chez les adolescentes issues de couples hétérosexuels, la satisfaction d’être une femme a tendance à décliner avec l’âge au fur et à mesure qu’elles découvrent les limitations sociales imposées aux femmes. Les adolescentes des couples lesbiens seraient plus heureuses : «Elles sont plus satisfaites d’être une fille.»
Une étude américaine révèle, en outre, que les enfants d’unions homoparentales, surtout les filles, entameraient leur vie sexuelle un peu plus tardivement que leurs amies des ménages hétéros. Mais leur sexualité serait un peu plus ouverte : «Il y a plus d’exploration.»