Abandon, séparation… Peut-on oublier ses enfants?
Françoise Moggio exerce en cabinet et au centre Alfred Binet, centre de soins psychiques et psychanalytiques pour l’enfant, dans le 13ème à Paris. Ses champs de recherche principaux: les bébés et leurs parents, les difficultés psychiques d’une naissance et d’un jeune enfant.
L’instinct maternel
C’est un terme que je n’utilise pas. C’est un concept éthologique, on parle d’instinct pour les animaux. Entre la mère et l’enfant se noue un lien fait de réciprocité: la mère s’attache à l’enfant et l’enfant s’attache à la mère. L’attachement concerne tout individu. Une femme qui a des troubles de l’attachement va le retransmettre à son bébé. Nous sommes génétiquement programmés à entrer en relation avec un bébé et à s’adapter à lui pendant la grossesse et les premières semaines de sa vie. La mère doit effectuer un travail psychologique pour que l’enfant qu’elle a dans ses bras soit celui qu’elle imaginait. Quand il n’y a pas de drame et que la maman va bien, elle doit tomber amoureuse de son bébé. L’état amoureux est un état qui se construit. Une mère qui va bien, va normalement investir son enfant, l’aimer, le choyer, le soigner…
Aucun trouble de l’attachement particulier, pas de drame non plus: j’ai toujours eu l’impression d’aller bien. Et pourtant, s’il y a une chose qui ne s’est jamais passée, c’est bien de «tomber amoureuse de mon enfant»… Ça se soigne docteur?
L’abandon
La notion d’abandon est liée à notre culture judéo-chrétienne. Dans certains pays, donner son enfant fait partie de la culture. L’abandon s’inscrit contre notre morale ordinaire. Nous avons tous été le bébé d’une maman et l’idée qu’elle puisse nous avoir abandonné est intolérable. Ce n’est pas un choix, où la volonté consciente serait la seule en cause.
Les femmes qui abandonnent leur enfant agissent sous la contrainte. Les contraintes peuvent être internes (une femme qui ne peut pas s’imaginer mère) ou externes (famille, environnement social…). Le plus souvent, il s’agit d’une combinaison des deux. Toutes les femmes qui abandonnent leur enfant vivent un conflit interne. Une femme n’accouche pas impunément sous X, ce sont toujours des situations douloureuses. Les femmes se sentent coupables, elles peuvent exprimer leur culpabilité mais aussi refuser de la reconnaître. Une femme peut haïr son enfant, consciemment ou inconsciemment. Ce sentiment est lié aux conditions de la naissance de l’enfant… Lors d’un abandon, la mère abandonne son enfant physiquement mais jamais psychiquement.
Une femme qui a abandonné un enfant et qui a d’autres enfants par la suite, aura le sentiment d’être mauvaise, d’avoir fait quelque chose de mal, de ne pas être une mère suffisamment bonne pour ses autres enfants. La naissance d’un nouvel enfant va révéler la souffrance de l’abandon du premier enfant.
On peut imaginer qu’un enfant abandonné aura des difficultés à construire une famille mais cela dépend de la façon dont il s’organise avec son histoire. Il peut avoir une crainte de répéter leur histoire ou de ne pas être capable de fonder une famille.
Bon diagnostic docteur. Votre analyse me paraît plus que satisfaisante. Il est évident qu’aucune femme n’abandonne un enfant par plaisir. Toutefois, ma question est: oui, mais 5, 10 ou 30 ans après l’abandon, y pense-t-on encore? En souffre-t-on encore? Comment se fait-il que les 2 plus belles années de ma vie soient celles qui ont suivi mes deux abandons? Dois-je culpabiliser toute ma vie docteur?
Les liens du sang
Ils sont sans grande importance. Ce sont les liens d’attachement, subjectifs et psychiques qui sont les plus importants. Les enfants adoptés entretiennent souvent des liens puissants avec les gens qui s’occupent d’eux. Le travail consiste à ne pas rompre les liens avec les parents d’origine et à s’attacher à d’autres personnes que ses parents biologiques.
Il est toujours conseillé aux parents adoptifs de dire la vérité à leurs enfants. C’est toujours un moment difficile mais les secrets de famille sont toujours des secrets de polichinelle. Les secrets de famille peuvent être très pathogènes. On cache toujours ce qui fait honte (suicide, maladie mentale, faillite, adultère…). Les gens ont généralement peur que la révélation du secret fasse éclater la famille en morceaux.
Les enfants abandonnés peuvent s’attacher à d’autres personnes que la mère biologique, à un substitut maternel de qualité. L’accouchement anonyme est davantage le problème de la mère que du bébé. Les américains évoquent la notion de donneur de soins et non pas de mère. C’est mieux d’avoir sa mère mais on peut avoir un substitut susceptible de donner de l’amour et du soin.
La notion de lien du sang sous-entend qu’il y a quelque chose de magique. Mais un enfant abandonné qui croise sa mère dans la rue ne va pas la reconnaître.
Lorsqu’un enfant fait la démarche de retrouver ses parents, quelque chose de puissant se passe, c’est gratifiant pour les parents. La mère se dit que l’enfant qu’elle a abandonné l’a retrouvée et qu’elle comptait pour lui. Le conseil que l’on pourrait donner aux parents et aux enfants qui se retrouvent après des années de séparation est de se parler, de se raconter, de réapprendre à se connaître, de dialoguer au maximum.
«Les histoires des enfants abandonnés n’ont pas toujours le même déroulement heureux (la maman qui revient, comme dans les fables), parce que, souvent, les mères s’en restent au loin et ne reviennent jamais plus en arrière.
« Soit elles souffrent comme des bêtes et se traînent alors dans une vie de remords. Ou bien elles effacent cette douleur, elles la rayent de leur vie et en recommencent une nouvelle, là où il ne s’est rien passé, là où cette histoire n’a jamais eu lieu».
Journal La Stampa (09.11.2003)
Article tiré de ce blog
http://abandon-adoption-instinct-maternel.over-blog.com/peut-on-oublier-ses-enfants