Accouchement sous X: témoignage d’une sage femme

Anna Roy, sage-femme passionnée, nous raconte l’histoire bouleversante d’Héloïse qui a accouché sous X d’un petit garçon nommé Joseph.

capture.de joseph

Accouchement sous X : le témoignage d’une sage femme

Héloïse X. apparut, au creux d’une nuit d’hiver, sur le seuil de la porte des urgences. Elle semblait frigorifiée et éprouvée par des contractions qui lui laissaient à peine le temps de respirer. Elle avait la peau diaphane et le regard inquiet. Elle était jeune, à peine dix-huit ans, peut-être vingt ans, tout au plus. Ce fut « Héloïse », car c’était un prénom que portait une amie de lycée qui lui ressemblait. Ce fut « X. » car Héloïse avait décidé d’accoucher dans le secret. Je n’ai jamais connu son identité.

La rencontre est simple. Très vite, des mots…

– J’ai des contractions, c’est mon premier enfant et malheureusement je n’ai pas d’autre choix que d’accoucher sous X. J’ai peur, très peur, de tout. Elle est inconnue de notre maternité, elle n’a pas été suivie pour sa grossesse. Elle a essayé mais personne, en libéral, n’a voulu l’écouter. Elle n’a pas eu la chance de sonner aux bonnes portes. Aucune prise en charge acceptée sans identité, juste une échographie de datation en début de grossesse au planning familial. Elle me dit qu’elle pense que tout va bien, que son bébé bouge tout le temps et que son ventre a bien grossi. Elle s’est aperçue de la grossesse à quatre mois et demi, trop tard pour l’interruption volontaire de grossesse en France. On lui a proposé de partir en Espagne mais elle ne voulait pas faire disparaître ce futur bébé qu’elle avait fini par sentir bouger, qui « avait le droit à sa chance lui aussi ». La dilatation du col est rapide, elle ne veut pas de péridurale. Elle souffle, elle prend un bain, je la masse, elle est avide de tous mes conseils et les applique. Elle veut que son bébé aille bien, à tout prix. Le travail dure quatre heures, ce qui est peu pour un premier accouchement.

Héloïse ne parvient pas à retenir ses larmes

Nous discutons à bâtons rompus. Elle me raconte les circonstances de la conception :
– Moi, j’étais hyper amoureuse de mon copain. Ça faisait deux mois qu’on était ensemble, on s’appelait tout le temps. On était dans la même fac. C’était mon premier amour. Un jour, j’ai oublié ma pilule, une seule fois Anna, je te le jure, tu me crois ? Oui bien sûr je la crois.
– Je pense que c’est à cause de ça que je suis tombée enceinte. Bref, il m’a quittée pour une autre, de son âge, et m’a dit que je n’avais jamais vraiment compté pour lui. Trois mois après notre rupture, je me suis rendu compte que j’étais enceinte grâce à un médecin qui devait me faire un certificat pour le tennis. Il n’y avait eu que lui. J’ai essayé de le recontacter de nombreuses fois, sans jamais y arriver. Ce bébé, c’est le fruit d’un amour sincère. Moi je l’aimais ce mec, putain ce que je l’aimais.
Héloïse a pleuré, beaucoup pleuré. Elle ne veut rien me dire de sa famille, de son milieu. Je vois juste que c’est une très belle jeune femme avec de superbes yeux noisette qui s’éclaircissent lorsqu’elle a mal, des cheveux ondulés qu’elle domestique avec un bic. Elle est élégante, elle porte de belles chaussures en daim, un sac en cuir couleur camel et un joli duffle-coat en laine épaisse. Elle ne veut rien laisser dans son dossier, surtout pas son identité. Elle se refuse à ce que cet amour fugace change à tout jamais le cours de sa vie.

Elle lui dit qu’elle est désolée pour tout

Elle a peur, elle dit qu’elle a le droit à la même vie que le père, qu’il n’y a aucune raison que ce soit différent pour elle. Elle ajoute qu’elle n’est pas autonome, que ses parents sont très durs et qu’elle serait jetée à la rue. Nous évoquons ensemble les souffrances à venir pour elle et son bébé. Je la convaincs de laisser ses antécédents médicaux et un petit mot pour le bébé. Ce qu’elle accepte. Je lui dis aussi que j’écris moi-même le récit de son arrivée, de notre rencontre, de tout ce qui se passe, pour le laisser dans le dossier. Je lui explique qu’à mon sens, cela fait partie de ma prise en charge de sage-femme. Elle me remercie avec émotion. Vint le moment de la naissance. Héloïse accompagna remarquablement son enfant et concentra toute son énergie pour l’aider au mieux. Il naquit à 4 h 18. C’était un beau petit garçon de quatre kilos, très éveillé. Elle le prit tout de suite sur elle, le regarda, le toucha et lui chuchota des mots à l’oreille. Elle l’embrassa aussi, longuement. Elle lui dit qu’elle était désolée pour tout, mais qu’elle préférait l’imaginer plutôt chez de nouveaux parents que dans une poubelle d’un hôpital espagnol. Je les laissai tous les deux, et ils passèrent une bonne heure ensemble. Elle lui donna son premier biberon. Celui que je baptisai Joseph était si sage : pas un pleur, pas un bruit. Des regards, des regards, encore des regards. À 5 h 30 du matin, elle m’appela. Elle lui avait dit adieu.

C’est le début d’une nouvelle vie pour lui, me dit-elle

Je pris Joseph dans mes bras et le confiai à une infirmière qui le prit contre elle en écharpe pour le reste de la nuit. Je savais, même si rien ne l’assurait, qu’ils ne se reverraient jamais plus. Je suis restée avec Héloïse qui ne voulait pas se reposer. Elle avait très mal au ventre et ne cessait de se plaindre, alors qu’elle n’avait rien dit pendant le travail. Au petit matin, elle décida de partir. Dans un coin de la pièce, elle avait laissé un petit mot pour le dossier du bébé. En plus de ses antécédents, elle y donnait sa description physique et celle de son copain : « On était grands tous les deux, on a des yeux marron, des cheveux ondulés, on se ressemblait, il paraît qu’on faisait un très beau couple. » D’autres mots aussi : « J’t’aime mon petit bonhomme mais la vie a fait des choix bizarres. Tu t’es battu pour venir et je t’ai laissé faire. Ne t’inquiète pas, tu auras des parents super et j’espère une belle vie. » Au creux du jour, elle repartit comme elle était venue. Je n’ai jamais revu Héloïse. J’ai dit au revoir à Joseph cinq jours après sa naissance, avant qu’il ne parte à la pouponnière. Peut-être le reverrai-je ? Il paraît que ça arrive. J’espère qu’il sera heureux. Héloïse ne s’est jamais rétractée. Joseph a été adopté deux mois et quelques jours après sa naissance. Et je ne doute pas qu’il fait le bonheur de ses parents.

Article de Catherine Marchi, de la revue Parents,  le 

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