L’adoption, chacun son histoire
Par Sonia Bolduc de La Tribune à Sherbrooke 12 avril 2018
CHRONIQUE / L’adoption, un geste d’abandon ou un don ? La question, beaucoup plus complexe que je vous la lance ici, sera longuement (et ardemment, promet-on !) débattue aujourd’hui jeudi à la Taverne O Chevreuil.
Le docteur Jean-François Chicoine dans un coin, l’historienne (et candidate solidaire) Christine Labrie dans l’autre, on retrouvera entre les deux le directeur de la protection de la jeunesse de l’Estrie, Alain Trudel, la directrice de santé publique Estrie, docteure Mélissa Généreux, ainsi que l’auteure franco-roumaine Marion Dagen.
Cette dernière, protagoniste du documentaire L’enfant du diable présenté à 17 h à la taverne O Chevreuil, coauteure de L’enfant et le dictateur publié chez Belfond et invitée du Festival cinéma du monde, a désormais tendance à faire dans la nuance, même lorsqu’on essaie de trancher entre le don et l’abandon.
« J’ai nourri de la colère et du jugement très longtemps par rapport à ma propre adoption, reconnaît Marion Dagen. Et j’avoue que cette colère m’a permis d’avancer, de trouver toutes les réponses dont j’avais besoin. Les réponses ont dissipé ma colère.
« Aujourd’hui, avec tout ce que j’ai appris au fil de ma démarche sur ma mère et les circonstances, j’ai compris qu’elle aussi avait une histoire, que chaque adoption a son histoire, et qu’il est préférable de ne pas juger. »
C’est qu’elle avance toujours dans son histoire, Marion Dagen. Née en 1976 dans la Roumanie de Ceausescu où l’on impose l’enfantement en déclarant que « si les familles ne peuvent prendre soin des enfants, l’État s’en chargera », Marion Dagen est adoptée six ans plus tard par un couple français.
Adolescence difficile, peur de l’abandon, colère bouillante, elle retournera une première fois en Roumanie à 17 ans. Les recherches de la « génitrice » qu’on disait morte s’amorcent, se poursuivent au fil des années et des dédales administratifs.
Elle est vivante. Ana est vivante. Et au fil des rencontres, des conversations qui s’empêtrent parfois dans la langue et les traductions approximatives, Ana passera de génitrice à mère biologique.
« C’est tout un système qui avait été mis en place par la dictature de Ceausescu afin de voler des enfants à leurs familles et à leurs vies. C’est terrible et inimaginable. Je ne veux pas que ça se reproduise, et je ne veux pas qu’on oublie ces enfants-là », confie la mère de famille et travailleuse sociale.
« J’ai eu la chance de retrouver mes parents biologiques, mais aussi de grandir dans une famille adoptive aimante. Et maintenant, j’ai moi-même une famille. Le défi désormais, quand on comprend que tout le monde a son histoire, c’est de voir ce qu’on va faire avec toutes ces histoires, comment elles vont cohabiter, ce qu’on peut construire », note sagement Marion Dagen.
Une question peut-être à ajouter à cette discussion autour de l’adoption.