Lucie était triste pour moi, que j’aie perdu mon amie Brunette. Je ne sais trop si c’est à cause de mon récit du matin, mais, en après-midi alors que nous retournions à l’école après le dîner, Lucie m’a entraînée sous l’escalier de l’église pour me montrer quelque chose qui serait notre secret, m’a-t-elle dit. J’étais très curieuse et je l’ai suivie sans hésitation. Ses parents tenant restaurant, elle avait chipé un paquet de cigarettes et un carton d’allumettes. J’étais impressionnée, et elle en a allumé une qu’on s’est partagée. Nous avons beaucoup plus toussoté qu’autre chose, mais quelle sensation que de braver l’interdit! Comme nous nous sentions grandes. Elle pouvait compter sur moi, personne ne le saurait, je lui ai donné ma parole. Ce soir-là, à mon retour à la maison, je me sentais investie d’un sentiment de toute puissance. Si ma mère avait su…
Ce rituel s’est poursuivi tous les jours et jamais personne ne l’a su. Nous toussions de moins en moins, et il nous était agréable de nous retrouver sous le perron de l’église pour nos petites escapades secrètes. Mes parents ainsi que les siens fumaient. Il m’est difficile de bien expliquer le bien-être que cela me faisait vivre à la maison, mais j’aimais ce sentiment de victoire et de toute-puissance que cela m’apportait. Je me rendais compte que j’aimais dépasser l’interdit et je trouvais plutôt agréable de savoir que je ne me conformais pas aux attentes de mes parents.
Lucie s’occupait de notre ravitaillement, nous faisions une dizaine de jours avec un paquet de cigarettes. Elle m’expliquait comment elle s’approvisionnait, et cela me fascinait. Je me demandais bien comment je pourrais lui remettre le tout, et j’y pensais, persuadée que j’allais trouver. Toutes deux, on se respectait. Elle pour son habileté à nous procurer des cigarettes, et moi, pour la façon dont je me faisais respecter. Bien sûr, cela m’amenait certaines fois chez la directrice, j’ai à quelques reprises eu une correction physique, avec cette courroie de cuir qu’on appelait une «s trappe » avec laquelle on nous frappait sur les mains, mais cela était rare, car pour l’éviter, je n’avais qu’à régler le compte loin de l’école, après la classe.
À la maison, la routine était toujours la même, j’arrivais de l’école, je faisais mes devoirs et leçons, je mettais la table, et je faisais la vaisselle après le souper. Ma mère se couchait dans la soirée, car elle travaillait à minuit. J’avais toujours ma complicité avec mon frère Gaétan, qui me racontait ses jeux avec ses amis et me parlait de sa blonde. Était-ce bien vrai tout ce qu’il me racontait, je ne sais pas, mais chose certaine, je l’écoutais attentivement, car ses récits me fascinaient. Gaétan, tout en me racontant ses exploits, a développé la fâcheuse habitude de porter sa main dans son sous-vêtement et de se gratter. Je me rappelle très bien lui avoir demandé de cesser cela, que cela m’écœurait, et je lui ai parlé de notre père, qui faisait toujours cela quand il était là le soir, et je lui ai demandé de ne pas faire comme lui. Gaétan a compris et il m’a dit qu’il ne le ferait plus. Mon père, lorsqu’il était à la maison le soir, avait la fâcheuse habitude de se gratter le pénis à répétition. Je le revois étendu par terre dans le salon, de tout son long sur le côté, appuyant sa tête sur sa main, qui trouvait son appui sur son coude, écoutant le hockey ou autre. Ajoutons à cela qu’il était en pyjama et qu’il se levait la jambe pour mieux arriver à ses fins.
Je ne sais pourquoi, je ne l’ai jamais compris, mais il me semblait que j’étais la seule que cela dérangeait, car jamais ma mère ne lui a dit quoi que ce soit. De mon côté, certaines fois avec courage, je le regardais faire, espérant qu’il arrêterait par gêne ou malaise, mais non, il n’a jamais cessé cette habitude, et moi, ça m’a toujours écœurée. À nous les fauteuils, et à lui le tapis du salon. Combien de fois me suis-je retirée dans ma chambre pour ne plus voir cette scène. Dans ma tête d’enfant, je me disais qu’il ne devait pas bien se laver, et c’est ce qui devait expliquer ses démangeaisons. Je plaignais ma mère de devoir dormir dans la même chambre que lui, et pire, dans le même lit. Est-ce que tous les garçons et les hommes agissaient ainsi? De toute façon, Gaétan a très bien compris, et il n’a pas développé cette mauvaise habitude, et je n’ai jamais eu à lui reformuler ma demande. Probablement que ce qui m’a aidée, c’est que mon frère ne voulait sûrement pas ressembler à ce père au fond de lui, et même s’il était un garçon, il devait considérer ce rituel tout aussi dégueulasse que moi.
© Manon Bélanger 16 juillet 2018
Etre un peut d’elinquante n’a jamais fait de tort a personne ont n’ a souvent une bonne satisfaction personnelle. Je te comprends
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