Le journal de Montréal, Actualité santé
Elle aurait aimé connaître le passé médical de ses parents biologiques
Elle estime qu’elle aurait pu recevoir son diagnostic de sclérose en plaques plus tôt
En 2012, Carole Binette a obtenu une photocopie de son «dossier social» en tant qu’enfant adopté. Malgré la piètre qualité du document, elle est notamment parvenue à déchiffrer que sa mère biologique était hongroise et qu’elle lui avait donné naissance à 32 ans.
Une sexagénaire de Longueuil qui ne connaît pas les antécédents médicaux de sa famille biologique parce qu’elle a été adoptée croit que son diagnostic de sclérose en plaques aurait été plus rapide si elle avait eu accès à ces informations.
Carole Binette a eu sa première poussée de sclérose en plaques il y a 13 ans. À l’époque, lorsqu’elle s’est présentée à l’hôpital avec des engourdissements inquiétants au côté gauche, les médecins l’ont aussitôt questionné au sujet des maladies ayant touché sa famille.
Mais Mme Binette est adoptée. Elle ne connaît donc pas ses parents biologiques et n’a pas la moindre idée de ce qui se cache dans leurs dossiers médicaux.
Même si la sclérose en plaques n’est pas une maladie héréditaire, des facteurs génétiques peuvent favoriser son développement. « Si j’avais su qu’il y avait des maladies neurologiques dans ma famille, par exemple, ça aurait probablement accéléré le diagnostic, qui a pris un an à arriver », explique la retraitée de 62 ans.
Plusieurs années plus tard, en 2015, un nouveau malheur s’abat sur elle. Une masse suspecte est détectée à son sein droit.
Cette annonce a l’effet d’une douche froide pour Carole Binette, qui venait de découvrir, après des années de recherche, que sa mère biologique avait souffert du cancer du sein.
Un document obtenu au Centre jeunesse de l’Estrie, région où elle a été adoptée, révélait que sa mère était décédée à l’âge de 80 ans des complications liées à la maladie.
« Quand j’ai dit ça à mon médecin, il m’a dit qu’il serait important de savoir à quel âge ma mère a eu le cancer du sein, raconte Mme Binette. Si c’est à 70 ans, j’ai moins de chance de l’avoir que si c’est à 30 ans. Mais je n’ai pas cette information-là. »
Projet de loi
Désormais, Carole Binette milite donc pour que les personnes adoptées puissent connaître leurs antécédents médicaux familiaux : un combat que mène le Mouvement Retrouvailles depuis déjà une vingtaine d’années.
« Mon conjoint et moi, on n’a pas eu d’enfants, dit-elle. Mais si j’en avais eu, vous ne pensez pas que j’aurais aimé savoir ce que je leur transmets ? »
En juin dernier, une avancée importante a été réalisée dans ce dossier. Le projet de loi 113 sur l’adoption a été approuvé à l’unanimité par les députés de l’Assemblée nationale.
Lorsque la loi entrera en vigueur d’ici juin 2018, les personnes adoptées pourront connaître l’identité de leurs parents d’origine si ceux-ci n’inscrivent pas de refus dans un délai de 12 mois.
Elles auront aussi accès à leurs antécédents médicaux familiaux, à condition qu’un médecin juge qu’être privé de ces informations risque de leur causer un préjudice. Or, pour Carole Binette et le Mouvement Retrouvailles, ce processus demeure trop complexe.
Pas suffisant
« C’est un progrès, mais, à notre avis, ce n’est pas suffisant, parce que le choix est laissé au bon jugement du médecin », commente Caroline Fortin, présidente du Mouvement Retrouvailles.
Simon Jolin-Barrette, député caquiste de Borduas et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de justice, appuie la pétition lancée par l’organisme et déposée à l’Assemblée nationale le 9 novembre dernier.
« On trouve que la loi demeure problématique parce que ce n’est pas à la naissance de la personne adoptée que le risque de préjudice va être évalué, note-t-il. C’est quand la santé de la personne va se détériorer et qu’elle va se retrouver dans le bureau du médecin avec un diagnostic quelconque. »
Les familles ont droit à la vie privée
La transmission des antécédents médicaux aux personnes adoptées sans aucune restriction brimerait le droit à la vie privée des familles biologiques, juge la ministre de la Justice Stéphanie Vallée.
« Cette question a fait l’objet de longues discussions lors de l’étude détaillée du projet de loi 113 en juin dernier. […] La procédure et les conditions concernant l’obtention de ces renseignements […] ont été largement assouplies », a précisé la ministre au Journal par courriel.
Avant l’adoption du projet de loi, les personnes adoptées qui désiraient obtenir leurs antécédents médicaux devaient s’adresser à un tribunal et prouver que le fait d’être privé de ces informations leur causait un préjudice grave.
Désormais, c’est le médecin de la personne adoptée qui aura le pouvoir de décider si cette absence d’information risque de causer un préjudice à leur patient. Si c’est le cas, il pourra obtenir des autorités médicales concernées les renseignements requis, à condition que le membre de la famille biologique concerné accepte. Sinon, il faudra de nouveau passer par un tribunal.
Des limites
Comme il s’agit de « renseignements personnels et confidentiels », il est « impossible d’en forcer la communication à un médecin », mentionne Stéphanie Vallée.
« Les chartes protègent le droit à la vie privée et les lois en matière de protection des renseignements personnels prévoient aussi une protection de ces renseignements », indique-t-elle.
Le député caquiste Simon Jolin-Barrette croit quant à lui que le droit à la vie privée a ses limites.
« Le gouvernement a toujours la possibilité de venir pondérer les choses en disant : dans certaines situations exceptionnelles, oui, c’est justifié de venir porter atteinte au droit à la vie privée, estime-t-il. Il y a des limites à ce droit-là, surtout quand ça peut nuire au droit à la vie des personnes adoptées. »
Catherine Montambeault 19-11-2017