
Ce dimanche matin du 8 mai 1955 était radieux, en cette journée de la fête des Mères. Le soleil était resplendissant et les cloches de l’église se firent entendre annonçant la messe de neuf heures. Ma mère était aux prises avec de virulents maux de ventre, dont elle ignorait l’origine. Prise d’un violent soubresaut, elle se rendit à la salle de bain croyant pouvoir se soulager et à sa grande déception, il n’en fut rien. Elle retourna s’allonger sur son lit, sentit ses entrailles éclater, toucha à quelque chose de chaud et doux dans son entrejambe. Elle appela sa sœur Florence qui était venue passer quelques jours à Montréal avec elle, et cette dernière vint l’assister et par le fait même, contribua à ma naissance, qui eut lieu à neuf heures vingt le matin.
Ma mère m’examina tendrement, avec fierté, soulagée que j’aie tous mes membres, que je sois en pleine forme, se sentait la plus heureuse des mamans en cette journée où le soleil brillait de ses mille feux. Cette jeune maman de vingt-deux ans, ignorant beaucoup de choses de la vie, venait de mettre au monde sa première petite fille, toute seule, à domicile, loin de ses proches, à l’exception de l’une de ses sœurs. À ce moment, elle était habitée d’une joie immense, sentant sa petite fille blottie au chaud tout contre elle, envisageant l’avenir sereinement pour elle et son enfant. La sonnette de la porte retentit, ce qui brisa ce moment si magique. C’était le médecin qui avait été appelé par sa sœur, accompagné d’une infirmière. Alors que ma mère leur montrait son enfant, ces derniers démontraient une certaine froideur, ressentit-elle. Après m’avoir soupesée, pesée et mesurée, le médecin m’enroula dans une couverture carreautée rouge, et il me mit dans les bras de cette infirmière austère et impassible. Ma mère me revendiqua et lui demanda pourquoi il ne lui redonnait pas sa fille. Le médecin sembla soudainement plus humain, et en la regardant dans les yeux, habités d’un timbre de voix calme et rassurant, il lui expliqua que pour son bien, ils allaient m’amener avec eux afin que je puisse être donnée en adoption.
Horreur, ma mère s’insurgea et revendiqua son enfant, affirmant en pleurant que j’étais sa fille et qu’il n’était pas question que personne ne la lui enlève. Le médecin d’un ton à la fois ferme, paternel et chaleureux lui expliqua combien il lui serait difficile d’élever seule une enfant de race noire, elle qui était blanche et monoparentale. Ma mère réfuta ses arguments, s’élança d’un bond vers l’infirmière, me retira de ses bras austères et leur ordonna de quitter les lieux, ce qu’ils firent. Quant à moi, je retrouvai les bras aimants et la chaleur de ma mère, et je fus innocente du drame qui venait de se jouer en cette belle journée.
Pour nous, le reste de la journée se passa merveilleusement bien, car ma mère n’avait de cesse de m’admirer, me caresser et me bécoter. Lorsque je réclamai mon boire, elle m’offrit son sein. Ma tante Florence fit bien quelques appels dans la famille, je parle ici de ma grand-mère, de mon grand-père, de mes oncles et tantes, mais personne ne se pointa, et aucune autre perturbation ne vint troubler cette journée, ce qui nous permit à ma mère et à moi de nous remettre du séisme qu’avaient provoqué ce médecin et cette infirmière.
Très intéressant, la mentalité, la façon agir des médecins des années 50, ils voulaient tout controler
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Oui, je suis bien d’accord avec vous, et j’ajoute qu’ils n’étaient pas les seuls à vouloir tout contrôler. Je pose également la question qu’en est-il aujourd’hui?
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