Ma différence

Ma différence   4e extrait du livre

 

 

Une larme noire

À partir de cette journée, j’ai bien pris conscience de ma différence, et je m’attendais à tout moment qu’on me la reflète, et bien sûr, c’est arrivé à certaines occasions. Ce mode d’évaluation dont je parlais précédemment était présent dans mon quotidien. Je tentais d’évaluer les personnes que cela pouvait déranger, et ce, même parmi les gens qui m’étaient familiers dans mon entourage. Cet événement m’a vraiment obligée à rentrer dans le vrai monde… J’ai commencé à vivre et à ressentir le racisme au quotidien, même si je ne connaissais pas ce mot et  à vivre les aléas de cette différence. Néanmoins, il y eut des jours où cette réalité passait quasiment inaperçue alors que d’autres jours, c’était inévitable avec mes compagnes de classe. Fort heureusement, cette école n’était fréquentée que par des filles, et Dieu merci, les religieuses m’aimant bien, cela m’aida à plusieurs reprises. Jamais je ne rapportais à la maîtresse ou à quiconque, une compagne qui m’agaçait. On dirait que j’avais compris que cela m’appartenait de gérer ces réalités, que je ne ferais qu’aggraver la situation si j’en parlais à mes parents ou à d’autres.  

J’ai dû accepter qu’on m’appelle ou qu’on me crie des quolibets tels « la négresse, toast brûlée, vas te laver t’es sale, et des fois on me disait « neger black ». Même si c’était en anglais, je savais que c’était parce que j’étais noire. On me disait que j’étais à quatre pattes quand le Bon Dieu m’avait peinturée. Je me suis lentement familiarisée avec ces mots, ces remarques et ces méchancetés bien malgré moi, et je tentais de les esquiver.  J’observais beaucoup les enfants, tout comme les adultes d’ailleurs, avant de tenter de créer un certain rapprochement.

Dans un premier temps, la méfiance m’habitait, je me tenais quelque peu à l’écart, tentant de passer inaperçue tout en observant passivement les enfants, afin de cibler de potentielles amies. Dans un deuxième temps, je m’approchais de l’enfant ciblée, et je jouais la séduction, c’est-à-dire que je tentais de me faire aimer par cette dernière afin qu’elle trouve des avantages et des bénéfices à être mon amie. Ainsi, petit à petit, mon cercle d’amies s’agrandissait, et celles-ci devenaient des alliées contre celles qui persistaient dans leur méchanceté.

Au fil des jours, j’ai pris conscience que cette réalité ne trouvait pas son nid qu’en milieu scolaire, mais un peu partout dans la vie de tous les jours; que ce soit au parc, sur le trottoir ou dans les lieux publics. Au dépanneur par exemple, où j’allais m’acheter des bonbons à une cenne, il m’est arrivé souvent d’être servie quand il n’y avait plus personne, plutôt qu’à mon tour. Je remarquais également que certaines personnes au lieu de me rendre mon sourire, faisaient tout à fait l’inverse. J’en arrivais à détecter les gens qui n’aimaient pas les noires, et ce, grâce à leur non verbal. J’ignorais, par contre, qu’il y avait d’autres noires dans ce bas monde. Que cela  pesait lourd sur mes frêles épaules, et que j’en voulais donc intérieurement à ma mère de ne pas me l’avoir dit et expliqué. Je lui en voulais de ne pas m’avoir préparée à cette réalité, ou qui sait, peut-être la tenais-je responsable de ma couleur, au fond de moi. Ma mère et moi n’avons plus reparlé de ce sujet suite à ma première journée d’école, et j’imagine qu’il lui était beaucoup plus facile de penser que je ne vivais rien à ce sujet. Cependant, je sais que cette réalité a beaucoup influencé ma personnalité tout au long de ma vie.

 

© Manon Bélanger Janvier 2018  ninoireniblanche.com

 

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