- 3e extrait de mon livre

À six ans, lors de ma première journée à l’école, j’ai vécu mon premier choc existentiel, et le mot n’est pas trop fort. Alors que nous étions dans la cour de récréation, nous étions toutes en cercle et le jeu était de nous tenir la main tout en chantant. L’une de mes voisines, après que je lui ai donné ma main, l’a rejetée très brusquement, me disant « T’es noire, yark, moi je ne te donne pas la main ». J’ai continué le jeu en versant des larmes, ne chantant nullement, et une main ballottante et meurtrie tentait de suivre la cadence. Je me souviens être revenue à la maison en courant et en larmes à l’heure du dîner. Avec colère, j’ai demandé à ma mère pourquoi elle ne m’avait pas dit que j’étais noire, que je n’étais pas comme elle. Aussi incroyable que cela puisse vous paraître, c’est précisément ce jour-là que j’ai pris conscience de ma différence. Je me rappelle que ma mère eut de la difficulté à me calmer et à me rassurer, tant ma peine et ma colère étaient grandes. Cette première journée d’école fut déterminante pour moi, car cette enfant m’avait fait comprendre que j’étais différente, et du même coup, elle m’a fait perdre mon innocence d’enfant.
Lors de cette première demi- journée d’école, j’avais pris conscience de ma différence, mais surtout de la méchanceté des autres, car avant cette journée, je n’avais pas été en contact avec d’autres enfants, et de plus, je découvrais une zone de vulnérabilité jusqu’alors inconnue chez moi. Je me dois de mentionner qu’à cette époque, il n’y avait pas de personnes de couleur, du moins dans mon quartier. J’ai passé une bonne partie de l’heure du dîner à me regarder et à m’observer dans le miroir, et je n’aimais pas ce que j’y voyais. Je suis retournée à l’école en après-midi, mais ce n’était plus la même enfant que celle qui s’y était présentée le matin. Cette enfant avait quelque peu perdu son enthousiasme et sa spontanéité, car elle était maintenant habitée d’une certaine méfiance et se plaçait davantage sur un mode d’observation vis-à-vis de ses pairs.
© Manon Bélanger Janvier 2018 ninoireniblanche.com
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Cela doit être très éprouvant d’être rejetée ainsi à l’école étant toute petite.. On construit notre sentiment d’identité (un des sentiments qui composent l’estime de soi ) à travers le regard que les autres nous portent comme tu dis … Merci Manon de ce dévoilement aux yeux de tous… Dénoncer les effets du racisme continue d’être important.. On a encore du chemin à faire ……
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Merci beaucoup pour ce commentaire Manoushka. Nous avons encore du chemin à faire, je suis bien d’accord, et je demeure confiante…
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