La littérature, vecteur d’empathie depuis 5000 ans, change le monde
Nicolas Gary – 23.07.2016
Les vertus de la lecture sont à rappeler sans cesse : depuis plusieurs années maintenant, une approche curative de la lecture est même en vogue, la bibliothérapie. Entre suspicion et enthousiasme, cette pratique repose sur des recommandations de lectures, plutôt que des cachets et des pilules. Une idée d’autant plus louable que de nombreuses études s’intéressent à l’incidence des livres sur la psyché.
La discipline est arrivée des pays anglo-saxons, pour timidement faire son nid en France. Relevant du paramédical, pas tout à fait de la psychologie, la bibliothérapie n’en finit pourtant pas de séduire, tout en suscitant les vocations. À leur manière, on pourrait dire que les librairies et les bibliothécaires incarnent les premiers praticiens de cette branche nouvelle. Puisqu’il s’agit bien de conseiller des lectures, qui répondront aux émotions du patient, autant s’adresser à des professionnels.
Une conversation et un partage avec l’auteur
Ce que cherchent les lecteurs ne s’appréhende pas d’un seul coup d’œil. La lecture comme solution au stress, catalyseur pour l’imaginaire ou coup de pouce pour le bonheur, voici autant de phrases que l’on croirait toutes faites. Et pourtant non.
La bibliothérapie consiste avant tout à faire correspondre des livres avec des gens, dans des situations particulières. Les services proposés ne sont souvent pas ceux de thérapeutes formés, mais de lecteurs avisés, qui ont choisi de se consacrer à une approche adaptée. Connecter les gens aux livres, pour écrire de nouvelles histoires, l’intention est louable.
Une étude présentée dans Trends in Cognitive Sciences semble abonder dans le sens des bibliothérapeutes. Menée par Keith Oatley, professeur émérite à l’université de Toronto, elle détaille une fois de plus les liens entre fiction et empathie. Kierkegaard parlait d’une « communication indirecte », que l’on appliquerait sans peine à la lecture. Tout en restant immobile, le lecteur se prend dans un univers fictionnel, qui lui donne le sentiment de suivre un chemin qu’il s’approprie.
Emporté, pour le meilleur, dans la simulation fictionnelle
Mais que la fiction ouvre des portes émotionnelles, voilà bien longtemps que ces conclusions s’imposent. « À la lecture d’un extrait de littérature artistique, les gens ont tendance à éprouver des émotions, mais pas celles des personnages littéraires, qui sont des êtres abstraits. Les émotions sont celles des lecteurs, pris dans la simulation qu’ils sont en train de vivre. Par contraste, quand les gens lisent ou entendent des récits construits pour persuader, leurs sentiments et conclusions tendent à être celles avancées par l’auteur », indique l’étude.
En somme, on palpite toujours plus avec la fiction, et cette dernière enrichit le quotient émotionnel – de là l’importance de pouvoir accéder au livre dès le plus jeune âge. C’est à ce point que l’étude arrive : elle constate que l’empathie a connu une croissance dans de nombreux pays, représentant l’un « des changements politiques les plus marquants de 5000 dernières années. L’une de ses conséquences a été la reconnaissance des droits d’autrui, même lorsque ces autres appartiennent à des cultures différentes ».
Pour l’auteur de l’étude, c’est l’apparition de la fiction qui a permis ces changements sociétaux – mettant en perspective plus largement le pouvoir de la lecture. Simplement parce que les changements intervenus découlent de ce que les livres ont apporté à leurs lecteurs.
On connaît bien l’exemple d’Harry Potter réputé pour rendre les enfants plus tolérants, parce que son univers opprime et pousse le lecteur à partager les souffrances des oppressés. Quelques années plus tôt, une étude de psychologues accordait d’ailleurs à Potter des vertus de lutte contre la mélancolie et l’exclusion. De même que les lecteurs de Twilight parvenaient à idéaliser l’existence des vampires.
En effet, au contact des œuvres, les lecteurs se découvrent des affinités pour les personnages, voire de l’empathie par la lecture. S’exprime un besoin d’appartenance, de se sentir proche d’un groupe social se retrouve assouvi de par cette relation tissée avec les personnages.
Nous comprendre en tant qu’êtres humains
Mais Keith Oatley pousse plus loin ses conclusions : « Le dialogue avec la fiction est fondamentalement utile pour nous permettre de nous comprendre les uns les autres, en tant qu’êtres humains. Ceci devient, peut-être, aussi important que tout sujet dans l’ingénierie ou l’économie », estime le chercheur.
La bibliothérapie, en ce qu’elle mettra les lecteurs en relation avec des œuvres susceptibles de les enrichir plus encore ne cessera pas de prendre de l’importance dans nos structures contemporaines. Répondre aux tristes nouvelles du quotidien, au deuil, aux coups durs de la vie – autant que permettre de jouir plus encore de moments de bonheur… – voilà une belle vie pour les livres.
« Une œuvre de fiction est un morceau de conscience qui peut passer d’un esprit à l’autre, et que le lecteur peut s’appliquer à lui-même », poursuit Oatley. En tant que moteur de simulations diverses et variées, réservoir à expérience, les livres d’hier, d’aujourd’hui et de demain continueront de forger les êtres. La bibliothérapie sera alors une ressource essentielle – et si l’on se prend à rêver, on imagine alors un monde meilleur…
Et à ce titre, peut-être rendra-t-on au jeu de rôle ses lettres de noblesse, qui sait, dans un même mouvement.
Article très intéressant, merci!!
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